mardi 25 octobre 2011

Abel Tasman, Sean et Chicken Lady

Certains matins, lorsque le temps est clair et que des horaires barbares vous imposent de vous réveiller à l'aube pour prendre un bus, en vacances, une maison paisible et un petit-déjeuner réconfortant suffisent parfois à faire passer la frustration d'une couette trop tôt quittée.
Sauf quand vous vous appelez Mehdi et que vous avez mal lu l'heure de départ.
 Il se peut alors que vous paniquiez devant la nonchalance avec laquelle Émilie se restaure tout en baillant. L'angoisse monte toujours à mesure que passent les secondes sur la grosse horloge de la cuisine. Les yeux ensommeillés, marquent d'abord une profonde incompréhension, un cri muet de révolte contre la précipitation que vous agitez. Puis, sans plus insister, se résignent à partir, de guerre lasse, remettant à plus tard les dernières tartines, mais sans comprendre pourquoi.
Nous pûmes ainsi arriver à la station de bus, située à 5 minutes de notre auberge à Nelson, à 7h pile... soit avec une bonne demi-heure d'avance sur ce que je pensais.

C'est ainsi, dans la joie et la bonne humeur, que débuta notre trajet, vers le parc naturel d'Abel Tasman. 



En bref, Abel Tasman, navigateur Néerlandais du XVIIe siècle, fut le premier européen à découvrir la Nouvelle-Zélande, la Tasmanie, les îles Fiji et l'île de Tonga. C'est donc son nom qui a été donné à ce parc national en souvenir d'une malheureuse tentative de débarquement, dans une de ces baies. Cette dernière se solda en effet par la mort de cinq de ses hommes face au service des frontières maori de l'époque. Le Batave partit alors sans demander son reste pour ne plus jamais revenir en Nouvelle-Zélande. Claude Guéant et Éric Besson pourraient en prendre de la graine!

Heureusement pour nous, les conditions d'accueil dans la région ont bien changé depuis Abel Tasman. Quoique. Dire en effet que ce parc est un petit paradis isolé du reste du monde serait un euphémisme grossier.  Il faudrait un autre terme qu'isolation, solitude ou éloignement pour décrire sa position. "Perditude" peut-être... je demanderai à Ségolène Royal, elle a plus de temps dorénavant.

Mais revenons à nos moutons. Notre périple commença donc dans Nelson endormie. L'agence de transport local offre un service de liaison fort sympathique entre Nelson donc, et Marahau point d'entrée du parc.




Nous embarquons donc avec Sean, la cinquantaine énergique avec un petit air hippie pas complètement rangé, chauffeur et guide touristique tout à la fois dans son gros van. Polyvalent, Sean assure tout aussi bien la livraison des journaux aux "dairy" des quelques hameaux parsemant notre route, des touristes aux auberges et sert de transport public aux locaux l'hiver.

Le "van de Sean" poumon économique de la région en basse-saison

Nous passons assez rapidement du centre-ville de Nelson aux phoques à fourrures vautrés dans la baie, avant de couper à travers la plaine agricole formant l'arrière-pays. Les vignes et les vergers se succèdent ainsi paisiblement au rythme des arrêts dans des bleds improbables et des commentaires de Sean sur sa région, son pays, le rugby évidemment, sa femme (et son ex-femme...) ainsi que de son voyage en France.

Pause au bord de la plage le temps pour Sean de prendre un petit café

Partis à cinq passagers, au bas mot, nous n'étions en effet plus qu'Émilie et moi-même à mi-trajet. La conversation roula donc bien naturellement sur nos régions d'origine. Jardinier à ses heures il nous abreuva de son admiration pour Versailles et ses jardins ainsi que de l'histoire des acclimatations opérés par les jardiniers de Louis XIV. Comme souvent à l'étranger, Paris est arrivée dans la conversation comme emprunte d'un mélange de romantisme et de magnificence. Bref il avait une longue pratique du contact et de la flatterie du touriste en général et des Français en particulier.
Cynisme mis à part, il émanait malgré tout de lui la même impression rencontrée souvent chez d'autres Néo-Zélandais, ou Australiens, quand il se mettait à parler de son pays. Comme une nostalgie assez inexplicable de l'Europe et le sentiment avoué de se sentir loin et étranger tout en étant né et ayant toujours vécu au même-endroit. Un "complexe des antipodes" en somme, qui fait passer en général dans les yeux de nos interlocuteurs le voile fugace d'une gravité inhabituelle. En effet, en l'absence de devise nationale, cette dernière pourrait être "No worries", tant on se l'entend répéter au travail, comme dans la rue ou encore au pub.

Toujours en attendant Sean, après tout on n'était pas pressé

L'absence de routes dans certains coins rend parfois utiles les "water-taxi" 

Une autre personnalité locale rencontrée lors de ce trajet fut la dénommée "Chicken Lady". Tout à coup, elle surgit de nulle part et héla énergiquement le bus du haut de ses 70 ans bien sonnés. Elle est montée dedans comme s'il s'agissait de la voiture d'un ami ou de son petit-fils. Tout paraissait convenu, Sean ne lui a rien fait payer et l'a aidé à monter les quelques sacs plastiques qu'elle se trimbalait. Vêtue d'une vieille blouse de travail à fleur aux couleurs passées, d'un gilet grisâtre et de sandales, Chicken Lady arborait une longue chevelure d'un blanc immaculé et des yeux bleus pâles qui illuminèrent le van dès son entrée un peu chancelante. Posée finalement sur la banquette derrière la nôtre, après avoir changé maintes fois de place, elle coupa Sean et se mit à nous parler des maisons hantées de la région et des drames à l'origine de ces fantômes. Avec ses sacs mystérieux, sa mise désordonnée et l'autorité avec laquelle elle nous imposa d'un coup sa conversation funeste , elle venait en quelques minutes de dresser le tableau de la parfaite sorcière devant nous. Puis elle finit par se désintéresser de nous pour changer de place à nouveau et aller marmonner dans son coin. Elle descendit dans un lieu tout aussi isolé que celui où elle était monté et continua son bonhomme de chemin par un petit sentier arboré.
Sean crut bon de nous parler ensuite de cette dame. "We use to call her "Chicken Lady"" commença-t-il. Elle vit toute seule depuis la mort de son mari dans sa ferme esseulée entre champs et vergers. Ce surnom lui avait été donné par Sean et ses collègues de la société de transport local. Elle s'était en effet obstinée pendant un certain temps à prendre le bus avec ses poulets, vivants bien sûr et pas toujours bien attachés. À cause des scènes et des accidents évités de justesse, que provoquèrent, à plusieurs reprises, des poulets affolés volant et courant à travers ce même van, elle finit par laisser ses poulets chez elle. Le nom est resté et tout le monde prend plus ou moins soin d'elle dans la région. Sean par exemple ne lui fait pas payer le "lift".
Ce fut notre premier contact avec la mentalité de l'île du sud, décrite par les néo-zélandais comme généralement plus généreuse et chaleureuse. Est-ce généralisable? nous en reparlerons.

Après toutes ces émotions il était bien temps que nous arrivions à Marahau, dernier poste avancé de la civilisation avant le parc. C'est ainsi en fin de matinée que nous découvrîmes "The Barn", notre auberge pour les prochains jours.



L'accueil du préposé à l'accueil fut glacial en cette belle matinée. On avait l'impression de l'avoir bousculé dans le métro sur son chemin pour aller au boulot. C'était à peu près ce niveau de sympathie et d'entrain. Les prix prohibitifs auraient achevé d'anéantir notre bonne humeur si le parc n'avait pas dévoilé sa splendeur sous nos yeux. Mais c'est une autre histoire.

Autour de l'auberge


Le seul voisin jamais croisé

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